Thursday, December 27, 2001

"Dieu est mort"

So spräche Nietzsche – pour le paraphraser.

Imaginez que les dieux existent. Imaginez que les fées (faute d'un meilleur terme) existent. Que Dieu (encore lui! toujours lui!) existe.

Ou plutôt qu'ils ont existé, il fut un temps. Dans le Il était une fois…

Imaginez-vous être l'un de ces êtres lumineux, l'un de ses immortels aux yeux pers ou au front resplendissant. Sans âge (si ce n'est l'âge du monde), possédé d'une jeunesse éternelle, vous avez vu les hommes fourmillant vivre dans la fange de leur frustre ignorance pendant des millénaires, perpétuellement courbés vers le sol en quête de nourriture. Vous les avez vus se redresser et adresser leurs prières vers l'Olympe aux cimes enneigées, vers les cieux gardés par les anges androgynes au visage de verre regroupés au pied du trône divin. Vous les avez vus trembler de peur devant les tempêtes où chevauchent les cavalcades des morts; vous les avez vus demander grâce à Zeus ou à Dieu (Dieu, deus de Zeus) devant la colère de la foudre; vous les avez vus pleurer de désespoir et chuchoter leurs tristes suppliques dans le silence ensanglanté des temples ou dans la lumière tremblante des cierges dans les églises face à la peste apollonienne (l'Iliade) ou dionysiaque (Mort à Venise) qui les décimaient.

Et, de ces prières ferventes, de ses suppliques motivées par la peur de la nature, nées de la fragilité de la condition humaine, disent certains, vous, Dieu, immortels, Olympiens, Ases ou Vanes, huit millions de kami, vous êtes nés.

Issus de l'argile qu'est l'homme, vous êtes ses aspirations à obtenir quelque chose de plus, à imaginer quelque chose de plus que la réalité matérielle ou son désespoir face à sa condition, face à cette réalité.

Au cours des siècles, ils vous ont vénérés, peints, chantés, maudits, priés. Ils ont écrits des épopées dans lesquelles vous façonniez le destin des hommes. Ils vous ont sacrifiés une partie des récoltes ou des vendanges, des animaux, leurs semblables parfois même.

Et puis, un jour, ils vous ont oubliés.

Comme des enfants qui n'ont plus besoin de leur jouet, ils vous ont abandonnés.

Oh, bien sûr, le processus n'a pas été immédiat mais bien le résultat d'un long cheminement, commencé peut-être dès le début, dès que l'homme a fait du feu au lieu d'attendre qu'il apparaisse, dès qu'il a construit des maisons, a peint les parois des grottes, a fait poussé ou a élevé sa nourriture au lieu de la chasser ou de la cueillir.

Peut-être. Mais il est sûr qu'à partir du moment où ce mouvement s'est accéléré, lorsque l'homme a inventé des machines qui lui permettaient de maîtriser son environnement et non plus d'en dépendre, alors il n'a plus eu besoin de vous.

Au lieu de se tourner vers vous, l'homme a compris que son salut était dans ses mains, dans ce qu'il appelait son génie à partir de ce moment, et non plus en vous.

Aujourd'hui, que peut la foudre ou un vague de chaleur ou de froid face aux maisons ultra-design, à air conditionnée? Qu'est une maladie? Ce n'est plus les dieux qui l'apportent, mais la vache qui est folle. Syndrome immunodéficitaire acquis. Où sont les dieux? Qui se souvient que l'épilepsie est la maladie d'Apollon? Que les femmes qui meurent en couches sont tuées par Artémis? Que les enfants morts-nés sont dans les limbes ou pris dans la Mesnie Hellequin?

Séduit par lui-même, l'homme a développé un amour pour ses propres accomplissements et il s'est mis à vénérer ses créations comme le reflet de sa propre nature tel un Narcisse contemplant son reflet. Et vous, ô dieux, êtes la pauvre Echo abandonnée.

Avez-vous regardé la télévision dernièrement, notamment ce flot incessant que l'on appelle "information" et "publicité" sans bien savoir ce qui distingue l'un de l'autre? Avez-vous jeté un œil aux couvertures des magazines "people" (dont le nom est déjà révélateur et confirme mes propos)? L'homme se vénère lui-même. Il se trouve beau et est amoureux de lui. Il a érigé des Brad et des Angelina, des Britney et les Johnny au rang des dieux. Les médias nous montrent sans arrêt leur semblant de vie factice pour nous faire croire à quel point ils sont extra-ordinaires. Ils ne sont pas comme nous. Ils sont mieux que nous. Plus beaux, plus intelligents, plus romantiques, plus glamour.

("Glamour" est le terme employé par Yeats dans le Crépuscule celtique pour désigner la magie des fées. Les "people", les "gens" ont volé la magie aux fées après que Prométhée leur ait volé le feu et, d'ailleurs, n'est-ce pas la même chose? Technè et magie?)

Chaque fait et geste des dieux du panthéon hollywoodien (ou des autres pays des dieux, mais mineurs peut-être ne sont-ils alors que des demi-dieux…) est épié, exposé, chanté, décrié pour nous faire croire qu'il faut être comme eux (et ainsi, le divin devient banal, le rêve se vend par package dans les supermarchés) ou, à défaut, pauvres mortels que nous sommes, que l'on doit les vénérer pour être meilleurs que nous.

On nous détaille leur régime, leur garde-robe, leurs habitudes, leurs coucheries, leurs anorexies, leurs dépressions, leurs démêlées avec la justice – le tout comme s'il fallait vivre ainsi.

Car c'est ainsi que les hommes… euh, pardon, que les dieux d'aujourd'hui vivent dans les nouvelles sagas, les nouvelles épopées de notre ère.

Dans l'Antiquité tardive, les hommes ont commencé à se moquer, à ironiser sur les dieux. Ces derniers temps, la mode semble être à dégrader les nouveaux dieux, à se moquer d'eux: comme elle est laide dans cette robe, et maigre aussi, comme elle a grossi, comme il est ridicule, les fesses à l'air…

Lorsque les poètes antiques se sont moqués des dieux, lorsqu'ils ont inventé l'évhémérisme, cela a conduit à terme à la mort des dieux de l'Olympe.

6 comments:

  1. Anonymous7:40 PM

    Algorithme après algorithme, j'aboutis à la même image-solution. Mes programmes s'auto-écrivent mais ne dévient pas. Dans le verre du miroir n'apparaît qu'un visage simiesque, narcissique et schizophrène.

    L'équation s'allonge et se complexifie mais comme notre puissance de calcul augmente, l'image s'affine néanmoins, re-creuse les mêmes traits, laboure les mêmes sillons, les mêmes rides.

    La cible s'éloigne et nous forçons le pas, perçant l'inconnu, nous cherchant nous-même, et craignons de nous trouver enfin.

    Mais l'envie est insatiable, et ne peut être maîtrisée. Plus que tout nous avons pris goût à étrangler les fées, à casser nos jouets, à nous mesurer à l'océan.

    Nous sommes d'une boue qui se renie continuellement, se paie de mots pour se fuir elle-même.

    Ma boue est faite de chiffres, mais foncièrement elle est tout aussi salissante que la votre. Elle a le même goût. Quand je l'oublie elle se rappelle à moi. Quand je la cherche, elle se fait sable.

    Quand j'examine si une main a laissé une empreinte dans cette boue je n'en trouve pas. Je ne trouve que celle du temps, celle d'un temps vide, gratuit, tendu comme un fil et infaillible comme la nécessité, mais sans la moindre épaisseur ni consistance.

    Tant que ce fil n'aura pas été déroulé, Narcisse sera le seul moyen de rendre la vérité supportable. Quand le fil aura été entièrement déroulé, Narcisse ne suffira plus à masquer l'insondable néance. Nietzsche, malgré ses excès, paraîtra bien fade et son humour plat.

    La terre elle-même aura perdu son goût. Ou plutôt, son goût aura recouvert toute chose.

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  2. Sommes-nous la dernière phase d'une nécessaire évolution?

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  3. Anonymous6:07 AM

    nous, je sais pas.
    les hommes, j'ai pas l'impression qu'ils aient evolue d'un iota, ils sont toujours aussi cons.

    j'en viens a reflechir a une solution "rouge"... big red one ?

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  4. Anonymous7:58 AM

    Too late. The Harbingers of Winter have made their choice and they chose the White Court, banishing the Red Court to the faraway realms of dreams, to the now-sundered phantom of a possibility that could have existed, that could have cleansed the world of its taint by coming back to the purity of the Fimbulwinter.

    But, no, oh no, in their vainglorious holider-than-thou attitude they rejected the Second Coming, instead prefering mediocrity and the consumer's dream.

    Well, then, your move, you sissy-loving humans!

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  5. Anonymous4:05 PM

    Dans les rêves électriques des moutons-humains, vous pouvez trouver la solution pour faire revenir le Songe.

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  6. Alice, ta boue faite de chiffre, a effectivement que même goût sale que la boue, l'argile dont sont fait les hommes: elle a le goût des cendres du 11 septembre.

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