Thursday, December 27, 2001

1939



Le vieux poète gravit le chemin poussiéreux, péniblement, le poids des années et des remords rendant son ascension difficile. Une pensée macabre et amère lui traverse l'esprit. D'une certaine manière, c'est son calvaire. Dans le ciel bleu azur, qui commence tout juste à se parer des feux de la fin d'après midi, un oiseau lance une note. Le poète, essoufflé, lève les yeux au ciel – ses lunettes se voilent alors d'un rideau de lumière réfléchissante – cherchant vainement des yeux l'oiseau. Faucon? Héron? Il n'en a aucune idée…

Se retournant, le poète peut, depuis les hauteurs où il se trouve, contempler l'arrière-pays qui descend doucement jusqu'à la mer qu'il peut distinguer malgré la chaleur qui voile l'horizon. Tout est tranquille, tout est paisible. C'est un bon moment, se dit-il. Peut-être est-ce là le but de sa vie, le Grand Œuvre: être capable d'apprécier ce moment pour ce qu'il vaut, d'en saisir les délicates subtilités symboliques qui le composent couches après couches et, derrière lesquelles il peut sentir, en l'effleurant, le léger et lointain grondement de tonnerre à l'horizon. Il est temps, se souvient-il alors, et sort instantanément de sa rêverie, reprenant sa marche, la veste de son costume blanc par-dessus l'épaule, sa canne de roseau dans l'autre main.

Parvenant finalement au sommet, il se sent fragile et faible, à bout de force. La chaleur se fait plus écrasante, comme si le soleil était vraiment plus proche ici. Son regard, rivé sur ses chaussures maculées de poussière blanche, est trouble. Il se redresse, ôte ses lunettes, les essuie du revers de son veston, les repose sur son nez aquilin, retire son chapeau de paille et essuie son front ridé et trempé de sueur d'un revers de la main qui tient le chapeau. Son regard, pendant ce temps, embrasse de nouveau la vue qu'il savoure depuis son promontoire. Il en emmagasine chaque élément qui se détache nettement dans la chaleur, comme s'il souhaitait l'emporter avec lui: le village en contrebas, la villa où l'impératrice Eugénie a séjourné, au début du siècle dernier, qui émerge discrètement des bosquets et des rideaux d'arbres; la mer, toujours scintillante de milles reflets d'écume; la chaleur écrasante de cette fin d'après-midi; le chant incessant des cigales; les parfums voyageant paresseusement sur les courants d'air invisibles. Un instant fugace, l'image de sa femme lui traverse l'esprit – elle est assise dans un fauteuil en osier, sous la véranda, occupée à coudre ou, écrit-elle? Comme si cette image le décidait, il se détourne alors de sa contemplation et s'enfonce dans le sous-bois.

L'air est soudainement figé et le bois se fait murmure. Le poète y entre comme quelqu'un qui est chez lui et, en vérité, aujourd'hui, pour la première fois, c'est le cas. Loin, le temps où il était toujours le perpétuel explorateur, le sondeur de ces mystères impénétrables. A présent, le voilà, et c'est tout. Nulle question, nul désir, mais uniquement la certitude d'être au bon endroit, au bon moment, et de rentrer chez soi. Alors qu'il avance sous les frondaisons verdoyantes, il ne se remémore pas le chemin de sa vie qui l'a conduit jusque dans ce lieu en ce temps. Au contraire, il oublie ou, plutôt, ne s'en soucie pas. Il dérange des insectes minuscules qui volètent sous les feuilles. Chez soi, voilà la vérité qui s'impose à lui en ce moment, avant qu'il ne l'oublie à son tour, ou plutôt, qu'il ne s'en défasse, comme s'il ôtait ses vêtements au fur et à mesure de sa progression, les laissant choir dans le tapis moussu du bois: il est chez lui, et cet endroit, ce moment, qu'il a toujours cherché, qu'il a sans cesse voulu vivre, en fin de compte, fut toujours à ses côtés, constamment en sa compagnie. Il ne parvenait pas à le comprendre, voilà tout, pas plus qu'il ne le comprend aujourd'hui, car à présent, tout cela n'importe plus.

Il arrive alors au seuil de la grotte qui s'ouvre devant lui, exhalant sa fraîcheur cristalline. La lumière s'est faite or, mais il ne sait pas si c'est le soleil qui se couche qui en est la cause ou si la clairière donne cette texture enchantée aux rayons qui y pénètrent. Il s'est arrêté un instant, face à la grotte, comme s'il devait méditer, communier presque, avant d'y pénétrer. Le murmure du bois s'est tu, et l'air se fait témoin de cet instant d'immobilité et de passage.
Le poète s'avance, et, tête nue, disparaît dans les ombres de la grotte. Derrière lui, il ne laisse que son chapeau de paille qu'une branche basse a fait tomber sur l'herbe drue de la clairière. Le bourdonnement des insectes reprend. Le poète s'en est allé ailleurs.

Dehors, hors du bois, le tonnerre gronde dans le lointain, annonçant la fin d'un âge.

"Dieu est mort"

So spräche Nietzsche – pour le paraphraser.

Imaginez que les dieux existent. Imaginez que les fées (faute d'un meilleur terme) existent. Que Dieu (encore lui! toujours lui!) existe.

Ou plutôt qu'ils ont existé, il fut un temps. Dans le Il était une fois…

Imaginez-vous être l'un de ces êtres lumineux, l'un de ses immortels aux yeux pers ou au front resplendissant. Sans âge (si ce n'est l'âge du monde), possédé d'une jeunesse éternelle, vous avez vu les hommes fourmillant vivre dans la fange de leur frustre ignorance pendant des millénaires, perpétuellement courbés vers le sol en quête de nourriture. Vous les avez vus se redresser et adresser leurs prières vers l'Olympe aux cimes enneigées, vers les cieux gardés par les anges androgynes au visage de verre regroupés au pied du trône divin. Vous les avez vus trembler de peur devant les tempêtes où chevauchent les cavalcades des morts; vous les avez vus demander grâce à Zeus ou à Dieu (Dieu, deus de Zeus) devant la colère de la foudre; vous les avez vus pleurer de désespoir et chuchoter leurs tristes suppliques dans le silence ensanglanté des temples ou dans la lumière tremblante des cierges dans les églises face à la peste apollonienne (l'Iliade) ou dionysiaque (Mort à Venise) qui les décimaient.

Et, de ces prières ferventes, de ses suppliques motivées par la peur de la nature, nées de la fragilité de la condition humaine, disent certains, vous, Dieu, immortels, Olympiens, Ases ou Vanes, huit millions de kami, vous êtes nés.

Issus de l'argile qu'est l'homme, vous êtes ses aspirations à obtenir quelque chose de plus, à imaginer quelque chose de plus que la réalité matérielle ou son désespoir face à sa condition, face à cette réalité.

Au cours des siècles, ils vous ont vénérés, peints, chantés, maudits, priés. Ils ont écrits des épopées dans lesquelles vous façonniez le destin des hommes. Ils vous ont sacrifiés une partie des récoltes ou des vendanges, des animaux, leurs semblables parfois même.

Et puis, un jour, ils vous ont oubliés.

Comme des enfants qui n'ont plus besoin de leur jouet, ils vous ont abandonnés.

Oh, bien sûr, le processus n'a pas été immédiat mais bien le résultat d'un long cheminement, commencé peut-être dès le début, dès que l'homme a fait du feu au lieu d'attendre qu'il apparaisse, dès qu'il a construit des maisons, a peint les parois des grottes, a fait poussé ou a élevé sa nourriture au lieu de la chasser ou de la cueillir.

Peut-être. Mais il est sûr qu'à partir du moment où ce mouvement s'est accéléré, lorsque l'homme a inventé des machines qui lui permettaient de maîtriser son environnement et non plus d'en dépendre, alors il n'a plus eu besoin de vous.

Au lieu de se tourner vers vous, l'homme a compris que son salut était dans ses mains, dans ce qu'il appelait son génie à partir de ce moment, et non plus en vous.

Aujourd'hui, que peut la foudre ou un vague de chaleur ou de froid face aux maisons ultra-design, à air conditionnée? Qu'est une maladie? Ce n'est plus les dieux qui l'apportent, mais la vache qui est folle. Syndrome immunodéficitaire acquis. Où sont les dieux? Qui se souvient que l'épilepsie est la maladie d'Apollon? Que les femmes qui meurent en couches sont tuées par Artémis? Que les enfants morts-nés sont dans les limbes ou pris dans la Mesnie Hellequin?

Séduit par lui-même, l'homme a développé un amour pour ses propres accomplissements et il s'est mis à vénérer ses créations comme le reflet de sa propre nature tel un Narcisse contemplant son reflet. Et vous, ô dieux, êtes la pauvre Echo abandonnée.

Avez-vous regardé la télévision dernièrement, notamment ce flot incessant que l'on appelle "information" et "publicité" sans bien savoir ce qui distingue l'un de l'autre? Avez-vous jeté un œil aux couvertures des magazines "people" (dont le nom est déjà révélateur et confirme mes propos)? L'homme se vénère lui-même. Il se trouve beau et est amoureux de lui. Il a érigé des Brad et des Angelina, des Britney et les Johnny au rang des dieux. Les médias nous montrent sans arrêt leur semblant de vie factice pour nous faire croire à quel point ils sont extra-ordinaires. Ils ne sont pas comme nous. Ils sont mieux que nous. Plus beaux, plus intelligents, plus romantiques, plus glamour.

("Glamour" est le terme employé par Yeats dans le Crépuscule celtique pour désigner la magie des fées. Les "people", les "gens" ont volé la magie aux fées après que Prométhée leur ait volé le feu et, d'ailleurs, n'est-ce pas la même chose? Technè et magie?)

Chaque fait et geste des dieux du panthéon hollywoodien (ou des autres pays des dieux, mais mineurs peut-être ne sont-ils alors que des demi-dieux…) est épié, exposé, chanté, décrié pour nous faire croire qu'il faut être comme eux (et ainsi, le divin devient banal, le rêve se vend par package dans les supermarchés) ou, à défaut, pauvres mortels que nous sommes, que l'on doit les vénérer pour être meilleurs que nous.

On nous détaille leur régime, leur garde-robe, leurs habitudes, leurs coucheries, leurs anorexies, leurs dépressions, leurs démêlées avec la justice – le tout comme s'il fallait vivre ainsi.

Car c'est ainsi que les hommes… euh, pardon, que les dieux d'aujourd'hui vivent dans les nouvelles sagas, les nouvelles épopées de notre ère.

Dans l'Antiquité tardive, les hommes ont commencé à se moquer, à ironiser sur les dieux. Ces derniers temps, la mode semble être à dégrader les nouveaux dieux, à se moquer d'eux: comme elle est laide dans cette robe, et maigre aussi, comme elle a grossi, comme il est ridicule, les fesses à l'air…

Lorsque les poètes antiques se sont moqués des dieux, lorsqu'ils ont inventé l'évhémérisme, cela a conduit à terme à la mort des dieux de l'Olympe.

Friday, December 21, 2001

Magic

J’ai souvent pensé que j’ôterai de mon être cette croyance en la magie si je le pouvais, car j’en étais venu à voir ou à imaginer, chez les hommes et les femmes, dans les maisons, dans les créations artistiques, dans presque tous les sons et toutes les visions, un certain mal, une certaine laideur, qui vient de la détérioration à travers les siècles de la qualité d’esprit qui avait fait cette croyance et ses applications communes dans le monde.

— William Butler Yeats, "Magic"

Message 6

"Je me propose de vous démontrer que toute criminalité organisée et massive découle de ce que je me permettrais d'appeler un crime contre l'esprit, je veux dire une doctrine qui, niant toutes les valeurs spirituelles, rationnelles ou morales, sur lesquelles les peuples ont tenté depuis des millénaires de faire progresser la condition humaine, vise à rejeter l'Humanité dans la barbarie, non plus dans la barbarie naturelle et spontanée des peuples primitifs, mais dans une barbarie démoniaque puisque consciente d'elle-même et utilisant à ses fins tous les moyens matériels mis par la science contemporaine à la disposition de l'homme. (…) Qu'il s'agisse du crime contre la Paix ou des crimes de guerre, nous ne trouvons pas en face d'une criminalité accidentelle, occasionnelle, que les évènements pourraient certes non pas justifier, mais expliquer, nous nous trouvons bien devant une criminalité systématique découlant directement et nécessairement d'une doctrine monstrueuse, servie avec une volonté délibérée par les dirigeants de l'Allemagne nazie."

- Réquisitoire de François de Menthon, procureur général français, au tribunal international de Nuremberg.

Stuck in the ashes of oblivion

Des souvenirs qui ne sont pas les miens, des moments d'un passé que je n'ai fait que lire ou voir, sont plus réels que ma propre vie, morne, tristement creuse. Est-ce mon manque d'identité, mon absence totale d'odeur (comme dirait Jimmy), qui me permet d'absorber toutes ces images - bien plus passionantes - réelles ou imaginaires qui déferlent sans cesse autour de moi et de me les approprier comme si elles étaient les fragments de mon passé? J'ai lu quelque part que parmi les milliers - les millions? - de gens qui ont regardé, comme je l'ai fait, les images des tours en feu, de ceux qui sautaient, puis de leur écroulement, une partie a éprouvé le sentiment, comme moi, d'être une victime de ces attentats. "Nous sommes tous des Américains," disait-on il y a peu, au lendemain de cette tragédie. Mais pourquoi? Nous nous sentons victimes à la place des victimes. Nous leur volons leur souffrance. Pourquoi? Est-ce parce que nos vies, à nous, habitants des marges, sont si creuses que nous essayons de les remplir avec celles de ceux qui vivent au centre? Mais pourtant comme la vie des habitants du centre sont vides, commes elles résonnent creux, pleines des trois valeurs dominantes de la société de consommation occidentale: consumérisme, conservatisme, hyperindividualisme. Alors ce sont plutôt les habitants des marges et leur vie pleine de souffrances, de déchirements, de dures réalités, qui copient le vide de celles du centre dans une tentative nihiliste d'exister mais niant leur existence même. Remplir du plein avec du vide. En souffrant avec les Américains, en pleurant Lady Di, les habitants des marges, les laissés-pour-compte, les fantômes croient qu'ils existent davantage alors qu'en réalité ils n'affirment que leur peur - de n'être que des fantômes qui ne peuvent plus hanter personne.
"It shows little in the end. It is a famous murder because it is on tape and because the murderer has done it many times and because the crime was recorded by a child. So the child is involved, the Video Kid as she is sometimes called because they have to call her something. The tape is famous and so is she. She is famous in the modern manner of people whose names are strategically withheld. They are famous without names or faces, spirits living apart from their bodies, the victims and witneses, the underage criminals, out there somewhere at the edges of perception."
Et il en va de même pour les morts du 11-Septembre. Ils sont les 3000 inconnus les plus célèbres du monde. (Il y a quelque chose de terriblement et de splendidement grec là-dedans: ils sont les 3000 héros de notre identité culturelle.) La célébrité du vide. N'exister que dans l'absence. Ne vivre que grâce à l'éphémère présence médiatique... pour combien de temps? Et @lix est le Video Kid. Et moi? Je suis prisonnière devant ma télé, incapable de détacher mon regard, de pleurer à chaque fois qu'ils passent les images.
"Seeing someone at the moment he dies, dying unexpectedly. This is reason alone to stay fixed to the screen."

Le temps s'est arrêté. La succesion des jours, des saisons, des années, des âges s'est interrompue et depuis je vis dans ce non-lieu, cette marge à la limite de la perception où je peux voir les morts. Je suis à jamais perdu dans le crépuscule des douze jours et douze nuits du non-temps entre la fin de l'année et le début de la nouvelle. Nous n'étions pas le 11 septembre ce jour-là, mais le 21 décembre. Et le temps s'est arrêté pour moi. Et je ne peux plus poster mes messages qu'à cette date à présent que j'en ai pris conscience. Et le monde aussi, même s'il croit en la fiction du temps linéaire, ne se rend pas compte qu'il est prisonnier des douze jours et douze nuits, qu'il avance à l'aveuglette, ou comme un train dans un tunnel sans savoir qu'il est à bord d'un train et prenant l'obscurité pour la normalité. Je suis prisonnière des cendres de l'oubli. Je suis dans cet outremonde. La fin de l'Histoire n'était pas en 1989, mais en 2001. A quand un nouveau début? A quand la sortie du tunnel? 

-- Kokeshi, depuis les marges 

PS: Les citations sont de DeLillo, Underworld.

The center cannot hold

Tout d'abord une citation:

Turning and turning in the widening gyre
The falcon cannot hear the falconer;
Things fall apart; the centre cannot hold;
Mere anarchy is loosed upon the world,
The blood-dimmed tide is loosed, and everywhere
The ceremony of innocence is drowned;
The best lack all convictions, while the worst
Are full of passionate intensity.

Surely some revelation is at hand;
Surely the Second Coming is at hand.
The Second Coming! Hardly are those words out
When a vast image out of Spiritus Mundi
Troubles my sight: somewhere in sands of the desert
A shape with lion body and the head of a man,
A gaze blank and pitiless as the sun,
Is moving its slow thighs, while all about it
Reel shadows of the indignant desert birds.
The darkness drops again; but now I know
That twenty centuries of stony sleep
Were vexed to nightmare by a rocking cradle,
And what rough beast, its hour come round at last,
Slouches towards Bethlehem to be born?

— Yeats, "The Second Coming"

Le centre ne tient plus. Il a été détruit et l'anarchie règne à présent sur le monde.

Nous sommes le 21 décembre 2001. L'après-midi touche à sa fin dans un placide coucher de soleil orangé. L'air froid de l'hiver semble favoriser la circulation de la chaleur, des particules invisibles portées par les vents solaires pour réchauffer ma froide carcasse.

Ce soir, Odin chevauchera Sleipnir à la tête de la Wuntendes Heer, l'Armée furieuse et viendra réclamer l'alfablót, le sacrifice aux elfes. Ce soir, dans la nuit immémoriale des temps anciens, les hommes prieront le soleil, sacrifieront aux dieux ténébreux du monde souterrain pour qu'il renaisse à nouveau et leur permette de vivre.

Joyeux solstice d'hiver en attendant Nöel!

A présent qu'il n'existe plus d'axe vertical pour nous aider à nous regrouper sur le plan horizontal, il faut regarder vers ceux qui nous précèdent, qui nous dépassent et qui nous succèdent. Qu'y a-t-il de plus grand que chacun d'entre nous? Notre mort.

Sans prendre conscience de cela, nous ne deviendrons que des spectres errants le long des autoroutes et des périphériques, hantant les marges d'un monde qui n'est plus que marges, car les centres sont creux et vides. Moi qui y habite, qui y vit, je vous le dis: fuyez.

"The best lack all convictions, while the worst are full of passionate intensity."

Votre Kokeshi, depuis les racines d'Yggdrasil.

Saturday, November 17, 2001

Un espoir dans le grand froid?

The divine people live out their passionate lives not far off, as I think, and we shall be among them when we die. May it not even be that death shall unite us to all romance, and that some day we shall fight dragons among blue hills.
William Butler Yeats, The Celtic Twilight. A notre mort, nous partirons combattre sur les plaines immortelles de Moy Tura comme les dieux lumineux d'antan.

Wednesday, November 14, 2001

L'identité d'@lix

Je sais qui tu es @lix.

Tu es quelqu'un qui nous envoie des messages depuis l'Autre Monde, celui des Celtes, celui qui est à la fois l'au-delà, le pays des morts au-delà du soleil couchant mais aussi le monde des fées. @lix, tu es mort(e), quelque part, et Wilda Berchta est venue te chercher.

Car:

Après le couloir de l'Avent, le vieux Noël ouvre le cycle des douze jours ou douze nuits, suivant ses origines celtiques ou germaniques. Depuis le 1er novembre l'air du temps n'est plus tout à fait le même. Les frontières entre le monde des vivants et des morts, entre le monde des humains et des Fées se sont effacées dès l'arrivée des "Etres de Passage". De l'Avent à la Sainte-Mélanie, au coeur de l'Epiphanie les cieux sont visités de nombreuses cohortes aériennes. Devançant de plusieurs millénaires le traîneau de Santa-Claus, Wodan-Odin, dieu des tempêtes et des morts monté sur son cheval blanc, conduit la Joreleî (horde du temps de Jule, l'armée furieuse ou chasse sauvage) encadrée par la blonde cavalcade des Valkyries, et majestueusement escortée par la déesse Berchta, la Wilda Berchta, Perchta ou Eisenberta. Par-dessus les campagnes et les villes d'Allemagne, de Bavière, du Tyrol, de Suisse orientale (...), Berchta mène derrière elle sa suite féerique.

Accrochée à son manteau de brouillard, de neige et de vent se presse la foule des "laisés-pour-compte" qu'elle rassemble et réconforte. Une nichée de bébés morts-nés gazouille dans sa capuche, des enfants trépassés non baptisés, des morts mal enterrés, oubliés, des âmes d'assassinés, de pauvres âmes suicidées par trop d'amour voisinent des ombres de Lutins perdus, de Fées défuntes, d'Elfes délaissés, de fantômes fanés, tout heureux de se retrouver ensemble à courir la campagne avec leur bienfaitrice, à visiter les maisons décorées pour Noël, à déposer des cadeaux, punir les méchants, récompenser les méritants et recueillir d'autres âmes en peine abandonnées sur les chemins. Elle descend au carrefour de quatre routes où pleure une âme gelée, l'emporte parmi les siens qui, empressés de l'entourer, lui rendent par des caresses et baisers vie et lumière. Et c'est une nouvelle luciole qui v a et vient joyeusement entre les formes iridescentes et gracieuses, et mêle son chant aux jappements joueurs d'une bande de chiens minuscules et ailés.

- Pierre Dubois, L'Encyclopédie des fées.


Cela fait penser au roi des aulnes, le Erlkoenig des légendes allemandes. ce roi des elfes qui ravit les âmes des enfants, les fait passer de vie à trépas pour les emmener dans son royaume. On peu le reconnaître, sur son grand cheval, vêtu de son grand manteau noir aux replis noirs, à ses bottes noires et à sa grande hotte dans laquelle il porte les âmes des enfants.

@lix, tu as été enlevé(e) par Berchta ou par le Erlkoenig et emmené(e) dans le royaume fantomatique d'où tu écris, afin de faire ramener l'Age d'Or, car tant que le Printemps ne reviendra pas, tu resteras prisonnière du roi des Elfes.

D'une certaine manière, je trouve tout cela plutôt rassurant: on peut communiquer par des e-mails depuis l'autre côté des portes de la mort...

Tuesday, November 13, 2001

Message 5

"Ici, tout comme à Belgrade, je vois dans les rues un grand nombre de jeunes femmes aux cheveux grisonnants et même blancs. Leurs visages sont défaits mais encore jeunes et les formes de leurs corps témoignent mieux encore de leur jeunesse. Il me semble voir comment au-dessus des têtes de ces êtres faibles est passée la main de la guerre et les a parsemées d'une neige précoce.

"Cette image ne se conservera pas longtemps, ces têtes achèveront bien vite de blanchir, puis elles disparaîtront complètement du fleuve ondoyant des passants vivants. C'est dommage. Rien ne parlerait mieux et plus clairement aux générations futures de notre époque, que ces jeunes têtes blanches à qui l'insouciance et la joie de la jeunesse ont été en partie, ou complètement, volées.

"Qu'elles soient mentionnées au moins dans cette note."

— Ivo Andritch, Sarajevo, le 14 juin 1946

Monday, November 12, 2001

Oberon

J'ai récemment reçu un message d'un certain Corri. En réponse à sa question, je me contenterai, encore une fois, des mots du poète:

Come away, O human child!
To the waters and the wild
With a faery, hand
in hand,
For the world's more full of weeping than you can understand.

Et, en cadeau, une image:

 
 

Sunday, November 04, 2001

Message 4

"L'univers éclata. L'obus arriva et je sus qu'il arrivait. Enorme, gros comme l'univers. Il remplit exactement un univers fini. C'était la convulsion même de cet univers (…). Qu'est-ce que je fais là? Je suis un homme. J'ai été promis à un monde d'hommes et d'animaux. Mes ancêtres ont travaillé à une civilisation pour que soudain nous n'y puissions plus rien et que le mouvement se perde machinal, absurde, aveugle? Une machine, un canon qui tire sans arrêt tout seul. Qu'est-ce que cela? Ce n'est ni un homme, ni un animal, ni un dieu. C'est un calcul oublié qui poursuit seul sa trajectoire à travers le monde, c'est un résidu incroyable. Quelle est cette reprise étrange de la matière sur la vie? Quel est ce déroulement mécanique de la matière? Des mots absurdes deviennent vrais: mécanisme, matérialisme. C'était un déchaînement inattendu, épouvantable. L'homme au moment d'inventer les premières machines avait vendu son âme et maintenant le diable le faisait payer. Je regarde, je n'ai rien à faire. Cela se passe entre deux usines, ces deux artilleries. L'infanterie, pauvre humanité mourante, entre l'industrie, le commerce, la science. Les hommes, qui ne savent plus créer des statues, des opéras, ne sont bons qu'à découper du fer en petits morceaux. Ils se jettent des orages et des tremblements de terre à la tête, mais ils ne deviennent pas des dieux. Et ils ne sont plus des hommes."

— Pierre Drieu La Rochelle, 1934

Thursday, November 01, 2001

Et la Mort n'aura pas d'Empire

Les brumes de la Samhain se dissipent dans le matin froid de novembre et alors que la terre, encore marquée par le passage des morts qui se sont évanouis à nouveau de l'autre côté des portes qui se referment, je lis les mots du poète. Car je veux y croire.
And death shall have no dominion.
Dead mean naked they shall be one
With the man in the wind and the west moon;
When their bones are picked clean and the clean bones gone,
They shall have stars at elbow and foot;
Though they go mad they shall be sane, 
Though they sink through the sea they shall rise again; 
Though lovers be lost love shall not; 
And death shall have no dominion.

 

And death shall have no dominion.
Under the windings of the sea
They lying long shall not die windily;
Twisting on racks when sinews give way, 
Strapped to a wheel, yet they shall not break;
Faith in their hands shall snap in two,
And the unicorn evils run them through;
Split all ends up they shan't crack;
And death shall have no dominion.

 

And death shall have no dominion.
No more may gulls cry at their ears
Or waves break loud on the seashores;
Where blew a flower may a flower no more
Lift its head to the blows of the rain;
Through they be mad and dead as nails,
Heads of the characters hammer through daisies;
Break in the sun till the sun breaks down,
And death shall have no dominion.

 Dylan Thomas.

Wednesday, October 31, 2001

"The Y of dying young"


How deep is time? How far down into the life of matter do we have to go before we understand what time is? We head out into space, we brave space, line up the launch window and blast off, we swing around the planet in a song. But time binds us to aging flesh. And anyway we don't depend on time finally. There is a balance, a kind of standoff between the time continuum and the human entity, our frail bundle of soma and psyche. We eventually succumb to time, it's true, but time depends on us. We carry it in our muscles and genes, pass it on to the next set of time-factoring creatures, our brown-eyed daughters and jug-eared sons, or how would the world keep going. Never mind the time theorists, the esium devices that measure the life and death of the smallest silvery trillionth of a second. He thought that we were the only crucial clocks, our minds and body, way stations for the distribution of time. Space burial. He thought of the contrails on that blue day out over the ocean (…) - how the boosters sailed apart and hung the terrible letter Y in the still air. The vapour stayed intact for some time, the astronauts fallen to sea but also still up there, graved in frozen smoke, and he lay awake in the night and saw that deep Atlantic sky and thought this death was soaring and clean, an exalted thing, a passing of the troubled body into vapour and flame, out above the world, monogrammed, the Y of dying young.

— Don DeLillo, Underworld, Part 2: Elegy for Left Hand Alone, chapter 7

Wednesday, October 10, 2001

Message 3

"C'est la guerre qui a fait des hommes et des temps ce qu'ils sont. Jamais encore une race semblable à la nôtre n'est entrée dans l'arène de la Terre pour vider entre soi la querelle et proclamer le maître du siècle. Car jamais encore une génération n'a ressurgi par un portail aussi grandiose et ténébreux que cette guerre l'a été dans la lumière de la vie. Voilà ce que nous ne pouvons nier, quand bien même plus d'un le voudrait: le combat, père de toutes choses, est aussi le nôtre; c'est lui qui nous a martelé, ciselés et trempés pour faire de nous ce que nous sommes. Et toujours, si longtemps que la roue de la vie danse en nous sa ronde puissante, cette guerre sera l'essieu autour duquel elle vrombit. Elle nous a formés au combat et tant que nous serons, ses champs de carnage sont délaissés et maudits comme la chambre de torture et la colline au gibet, mais son esprit est entré en nous, les serfs de sa corvée, et jamais plus ne les tiendra quittes de son service."

— Ernst Jünger, 1923

Monday, October 08, 2001

Message 2


"Un phénomène auquel nous sommes confrontés, et que nous allons devoir supporter quelque temps, est l'existence d'une sorte de No man's land. (…) Plus rien n'existe, ou seulement le cadavre de l'âge révolu, et les balbutiements des enfants du nouveau."

— Percy Wyndham Lewis, 1921




Saturday, October 06, 2001

Message 1


"Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d'empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées, avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute la terre apparente est faite de cendres, que la cendre signifiait quelque chose. (…) Elam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence même. Mais France, Angleterre, Russie… ce seraient aussi de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l'abîme de l'histoire est assez grand pour tout le monde. (…)

"Il n'a pas suffi à notre génération d'apprendre par sa propre expérience comment les plus belles choses et les plus antiques, et les plus formidables et les mieux ordonnées sont périssables par accident; elle a vu, dans l'ordre de la pensée, du sens commun, et du sentiment, se produire des phénomène extraordinaires, des réalisations brusques de paradoxes, des déceptions brutales de l'évidence. Je n'en citerai qu'un exemple: les grandes vertus des peuples allemands ont engendré plus de maux que l'oisiveté n'a crée de vices. Nous avons vu, de nos yeux vu, le travail consciencieux, l'instruction la plus solide, la discipline et l'application les plus sérieuses, adaptés à d'épouvantables dessins. Tant d'horreurs n'auraient pas été possibles sans tant de vertus."

— Paul Valéry, 1923


Monday, October 01, 2001

La poupée russe de rêve




La poupée russe de rêve
Oui, bien sûr, cela arrive!
Au réveil ou, plus souvent, dans le courant de la journée, je me rappelle soudain du rêve que j'ai fait la nuit dernière. Par grosses bouffées, des détails de plus en plus précis me reviennent à l'esprit.
Je suis alors capable de décrire mon rêve, avec tout ce qu'il peut contenir d'étrange ...
J'y ai vu des formes, des couleurs, des personnages connus ou inconnus.
J'ai entendu des sons, des paroles, des bruits.
J'ai touché des objets, des êtres, des créatures.
Plus rarement, des odeurs m'ont assailli ou j'ai pu goûter parfois divers aliments.
Je me souviens maintenant parfaitement que l'un ou plusieurs de mes cinq sens ont été sollicités.
Je me souviens des situations vécues dans mes rêves.
Il y avait une histoire, un fil conducteur, souvent bizarre, si bizarre ...
J'y ai souffert, aimé, haï.
J'ai parfois été terrorisé!
J'y ai même tenu des raisonnements.
Maintenant, je suis réveillé, parfaitement réveillé.
En suis-je si sûr ?
Je sais que mes rêves n'étaient que des rêves, ce n'était donc pas la réalité.
J'en suis soulagé s'ils n'étaient pas agréables.
S'il s'agissait de cauchemars, je crains la nuit prochaine : ne se renouvelleront-t-ils pas ?
S'ils étaient agréables, très agréables, je regrette soudain que ce ne furent que des rêves, peut-être les retrouverai-je ce soir?
Mais revenons à mon rêve de la nuit dernière: je dormais et pourtant une histoire bien précise s'y déroulait avec ma participation, active ou passive. A l'intérieur de mon rêve, pas un seul instant je n'ai pu imaginer qu'il ne s'agissait pas de la vie réelle puisque mes cinq sens fonctionnaient parfaitement.
A l'intérieur de mon rêve, je ne pouvais donc pas savoir que je rêvais.
Dans mon rêve, on m'a même peut-être pincé !
Je ne me suis pas réveillé pour autant.
"Pince-moi pour être sûr que je ne rêve pas" ...
Or qu'est-ce qui me relie au monde extérieur réel si ce ne sont mes cinq sens: la vue, l'odorat, le goût, l'ouïe et le toucher ?
Et pourtant, pendant mes rêves, j'ai vu, senti, goûté, entendu et touché.
Alors?
Alors, c'est simple : plus rien ne me prouve que la vie réelle n'est pas qu'un rêve parmi les autres rêves ...
Et surtout plus rien ne me prouve que la vraie vie que j'aborde à mon réveil n'est pas également un autre rêve qui commence …
Plus rien ne distingue le rêve de la réalité, plus rien ne distingue la réalité du rêve.
Tout ce que j'ai cru vivre dans ma vie réelle n'était donc qu'une succession de rêves.
J'ai tout imaginé, tout inventé: les objets, les êtres vivants, les situations, tout ce que mes cinq sens m'ont permis d'appréhender.
Mes souvenirs, ma famille, mon environnement, mon chien, ma télévision, tout ce qui se passe de par le Monde, j'ai tout rêvé, j'ai tout imaginé.
Les arbres, la mort, les montagnes, les pommes de terre, mon chef, la politique, les hommes, les bêtes, les journaux, mon lit, la parole, les guerres, les livres, les
religions, les langues, le cosmos, la naissance, ... tout !
Rien n'existe depuis le début, d'ailleurs quel début?
Je me réveille d'un rêve pour entrer dans un autre. Je rêve que je rêve.
Plus rien ne démontre mon existence, ni celles des autres, objets et êtres animés ou inanimés.
Je suis une poupée russe du rêve, un anneau de Moebius dans un univers inexistant.
Et penser ne me prouvera pas plus que j'existe puisque je pense déjà dans mes rêves.
Descartes, au secours!
Alors, suis-je inexistant? Ou suis-je seul et si oui, où, dans quel univers?
Ou est-ce l'autre que je vois et que j'entends qui est seul au monde parce que je n'existe pas?
Suis-je une imagination de l'autre?
Ou bien vais-je me réveiller de toute ma vie qui ne fut qu'une succession de rêves du plus loin que je m'en souvienne ?
Et si oui, dans quel monde vais-je débarquer?
Et y serai-je seul?