Wednesday, October 31, 2001

"The Y of dying young"


How deep is time? How far down into the life of matter do we have to go before we understand what time is? We head out into space, we brave space, line up the launch window and blast off, we swing around the planet in a song. But time binds us to aging flesh. And anyway we don't depend on time finally. There is a balance, a kind of standoff between the time continuum and the human entity, our frail bundle of soma and psyche. We eventually succumb to time, it's true, but time depends on us. We carry it in our muscles and genes, pass it on to the next set of time-factoring creatures, our brown-eyed daughters and jug-eared sons, or how would the world keep going. Never mind the time theorists, the esium devices that measure the life and death of the smallest silvery trillionth of a second. He thought that we were the only crucial clocks, our minds and body, way stations for the distribution of time. Space burial. He thought of the contrails on that blue day out over the ocean (…) - how the boosters sailed apart and hung the terrible letter Y in the still air. The vapour stayed intact for some time, the astronauts fallen to sea but also still up there, graved in frozen smoke, and he lay awake in the night and saw that deep Atlantic sky and thought this death was soaring and clean, an exalted thing, a passing of the troubled body into vapour and flame, out above the world, monogrammed, the Y of dying young.

— Don DeLillo, Underworld, Part 2: Elegy for Left Hand Alone, chapter 7

Wednesday, October 10, 2001

Message 3

"C'est la guerre qui a fait des hommes et des temps ce qu'ils sont. Jamais encore une race semblable à la nôtre n'est entrée dans l'arène de la Terre pour vider entre soi la querelle et proclamer le maître du siècle. Car jamais encore une génération n'a ressurgi par un portail aussi grandiose et ténébreux que cette guerre l'a été dans la lumière de la vie. Voilà ce que nous ne pouvons nier, quand bien même plus d'un le voudrait: le combat, père de toutes choses, est aussi le nôtre; c'est lui qui nous a martelé, ciselés et trempés pour faire de nous ce que nous sommes. Et toujours, si longtemps que la roue de la vie danse en nous sa ronde puissante, cette guerre sera l'essieu autour duquel elle vrombit. Elle nous a formés au combat et tant que nous serons, ses champs de carnage sont délaissés et maudits comme la chambre de torture et la colline au gibet, mais son esprit est entré en nous, les serfs de sa corvée, et jamais plus ne les tiendra quittes de son service."

— Ernst Jünger, 1923

Monday, October 08, 2001

Message 2


"Un phénomène auquel nous sommes confrontés, et que nous allons devoir supporter quelque temps, est l'existence d'une sorte de No man's land. (…) Plus rien n'existe, ou seulement le cadavre de l'âge révolu, et les balbutiements des enfants du nouveau."

— Percy Wyndham Lewis, 1921




Saturday, October 06, 2001

Message 1


"Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d'empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées, avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute la terre apparente est faite de cendres, que la cendre signifiait quelque chose. (…) Elam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence même. Mais France, Angleterre, Russie… ce seraient aussi de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l'abîme de l'histoire est assez grand pour tout le monde. (…)

"Il n'a pas suffi à notre génération d'apprendre par sa propre expérience comment les plus belles choses et les plus antiques, et les plus formidables et les mieux ordonnées sont périssables par accident; elle a vu, dans l'ordre de la pensée, du sens commun, et du sentiment, se produire des phénomène extraordinaires, des réalisations brusques de paradoxes, des déceptions brutales de l'évidence. Je n'en citerai qu'un exemple: les grandes vertus des peuples allemands ont engendré plus de maux que l'oisiveté n'a crée de vices. Nous avons vu, de nos yeux vu, le travail consciencieux, l'instruction la plus solide, la discipline et l'application les plus sérieuses, adaptés à d'épouvantables dessins. Tant d'horreurs n'auraient pas été possibles sans tant de vertus."

— Paul Valéry, 1923


Monday, October 01, 2001

La poupée russe de rêve




La poupée russe de rêve
Oui, bien sûr, cela arrive!
Au réveil ou, plus souvent, dans le courant de la journée, je me rappelle soudain du rêve que j'ai fait la nuit dernière. Par grosses bouffées, des détails de plus en plus précis me reviennent à l'esprit.
Je suis alors capable de décrire mon rêve, avec tout ce qu'il peut contenir d'étrange ...
J'y ai vu des formes, des couleurs, des personnages connus ou inconnus.
J'ai entendu des sons, des paroles, des bruits.
J'ai touché des objets, des êtres, des créatures.
Plus rarement, des odeurs m'ont assailli ou j'ai pu goûter parfois divers aliments.
Je me souviens maintenant parfaitement que l'un ou plusieurs de mes cinq sens ont été sollicités.
Je me souviens des situations vécues dans mes rêves.
Il y avait une histoire, un fil conducteur, souvent bizarre, si bizarre ...
J'y ai souffert, aimé, haï.
J'ai parfois été terrorisé!
J'y ai même tenu des raisonnements.
Maintenant, je suis réveillé, parfaitement réveillé.
En suis-je si sûr ?
Je sais que mes rêves n'étaient que des rêves, ce n'était donc pas la réalité.
J'en suis soulagé s'ils n'étaient pas agréables.
S'il s'agissait de cauchemars, je crains la nuit prochaine : ne se renouvelleront-t-ils pas ?
S'ils étaient agréables, très agréables, je regrette soudain que ce ne furent que des rêves, peut-être les retrouverai-je ce soir?
Mais revenons à mon rêve de la nuit dernière: je dormais et pourtant une histoire bien précise s'y déroulait avec ma participation, active ou passive. A l'intérieur de mon rêve, pas un seul instant je n'ai pu imaginer qu'il ne s'agissait pas de la vie réelle puisque mes cinq sens fonctionnaient parfaitement.
A l'intérieur de mon rêve, je ne pouvais donc pas savoir que je rêvais.
Dans mon rêve, on m'a même peut-être pincé !
Je ne me suis pas réveillé pour autant.
"Pince-moi pour être sûr que je ne rêve pas" ...
Or qu'est-ce qui me relie au monde extérieur réel si ce ne sont mes cinq sens: la vue, l'odorat, le goût, l'ouïe et le toucher ?
Et pourtant, pendant mes rêves, j'ai vu, senti, goûté, entendu et touché.
Alors?
Alors, c'est simple : plus rien ne me prouve que la vie réelle n'est pas qu'un rêve parmi les autres rêves ...
Et surtout plus rien ne me prouve que la vraie vie que j'aborde à mon réveil n'est pas également un autre rêve qui commence …
Plus rien ne distingue le rêve de la réalité, plus rien ne distingue la réalité du rêve.
Tout ce que j'ai cru vivre dans ma vie réelle n'était donc qu'une succession de rêves.
J'ai tout imaginé, tout inventé: les objets, les êtres vivants, les situations, tout ce que mes cinq sens m'ont permis d'appréhender.
Mes souvenirs, ma famille, mon environnement, mon chien, ma télévision, tout ce qui se passe de par le Monde, j'ai tout rêvé, j'ai tout imaginé.
Les arbres, la mort, les montagnes, les pommes de terre, mon chef, la politique, les hommes, les bêtes, les journaux, mon lit, la parole, les guerres, les livres, les
religions, les langues, le cosmos, la naissance, ... tout !
Rien n'existe depuis le début, d'ailleurs quel début?
Je me réveille d'un rêve pour entrer dans un autre. Je rêve que je rêve.
Plus rien ne démontre mon existence, ni celles des autres, objets et êtres animés ou inanimés.
Je suis une poupée russe du rêve, un anneau de Moebius dans un univers inexistant.
Et penser ne me prouvera pas plus que j'existe puisque je pense déjà dans mes rêves.
Descartes, au secours!
Alors, suis-je inexistant? Ou suis-je seul et si oui, où, dans quel univers?
Ou est-ce l'autre que je vois et que j'entends qui est seul au monde parce que je n'existe pas?
Suis-je une imagination de l'autre?
Ou bien vais-je me réveiller de toute ma vie qui ne fut qu'une succession de rêves du plus loin que je m'en souvienne ?
Et si oui, dans quel monde vais-je débarquer?
Et y serai-je seul?