Sunday, January 27, 2002

Astarté

Autrefois on la connaissait sous le nom d'Astarté la Belle qui fut proclamée dans sa jeunesse la Reine de l'Automne et la Vierge des Pétales. Les rayons d'or du soleil descendaient en jouant avec ses cheveux comme une cascade et cependant l'amour d'Astarté allait à la lumière de la lune et à toutes choses qui se révèlent à la sagacité de ceux qui osent interroger les secrets du long règne de la nuit. Telle était la joie de sa jeunesse, la fille ainée de Criann, seigneur de l'ost lumineuse. Les bardes des sidhe composèrent vingt-sept chants en l'honneur de sa beauté. Elle refusa ving-sept fois de donner sa main. Puis vint le temps des tempêtes de l'automne, quand les feuilles furent soufflées des branches squelettiques des arbres et que les noires promesses furent portés par le vent sombre depuis des terres lointaines jusque dans le cœur de chaque sidhe : mélancolie et terreur et angoisse qui saisit le cœur. Et Astarté se dressa, et rit en face de la tempête tandis que le peuple de Criann gémissait, et elle dit "venez! venez et emmenez-moi, espoir au-delà de tout espoir, car je suis la reine des vents et du désespoir, de l'angoisse, et le dernier espoir de ma race." Et le vent l'emporta, et au petit matin elle avait disparu. 

-- Extrait du Manuscrit écarlate des sidhe

Sunday, January 06, 2002

Babii Yar

No monument stands over Babii Yar.
A drop sheer as a crude gravestone.
I am afraid.
Today I am as old in years
as all the Jewish people.
Now I seem to be
a Jew.
Here I plod through ancient Egypt.
Here I perish crucified, on the cross,
and to this day I bear the scars of nails.
I seem to be
Dreyfus.
The Philistine
is both informer and judge.
I am behind bars.
Beset on every side.
Hounded,
spat on,
slandered.
Squealing, dainty ladies in flounced Brussels lace
stick their parasols into my face.
I seem to be then
a young boy in Byelostok.
Blood runs, spilling over the floors.
The bar-room rabble-rousers
give off a stench of vodka and onion.
A boot kicks me aside, helpless.
In vain I plead with these pogrom bullies.
While they jeer and shout,
"Beat the Yids. Save Russia!"
some grain-marketeer beats up my mother.
O my Russian people!
I know
you
are international to the core.
But those with unclean hands
have often made a jingle of your purest name.
I know the goodness of my land.
How vile these antisemites--
without a qualm
they pompously called themselves
"The Union of the Russian People"!
I seem to be
Anne Frank
transparent
as a branch in April.
And I love.
And have no need of phrases.
My need
is that we gaze into each other.
How little we can see
or smell!
We are denied the leaves,
we are denied the sky.
Yet we can do so much--
tenderly
embrace each other in a dark room.
They’re coming here?
Be not afraid. those are the booming
sounds of spring:
spring is coming here.
Come then to me.
Quick, give me your lips.
Are they smashing down the door?
No, it’s the ice breaking...
The wild grasses rustle over Babii Yar.
The trees look ominous,
like judges.
Here all things scream silently,
and, baring my head,
slowly I feel myself
turning gray.
And I myself
am one massive, soundless scream
above the thousand thousand buried here.
I am
each old man
here shot dead.
I am
every child
here shot dead.
Nothing in me
shall ever forget!
The "Internationale", let it
thunder
when the last antisemite on earth
is buried forever.
In my blood there is no Jewish blood.
In their callous rage, all antisemites
must hate me now as a Jew.
For that reason
I am a true Russian!
Yevgeny Yevtushenko
Translated by George Reavey

Mes fantômes ne sont pas ceux de la mort de masse, par un gaz ou une bombe nouvelle et impensée.
Mes fantômes sont mort sous la hache, sous la balle, sous la main de leurs frères.
Pas de radiation.
Juste des souvenirs.

Saturday, January 05, 2002

Hibakusha

La puissance dissipée par la bombe a été estimée à 14 000 t de TNT. Cette énergie est transformée en chaleur et en souffle pour 85% et en radiations pour 15%. Chacun de ces trois effets est dévastateur.

Dès le premier millionième de seconde, l’énergie thermique est libérée dans l’atmosphère et transforme l’air en une boule de feu qui atteint un kilomètre de diamètre en quelques secondes au-dessus d’Hiroshima. Au sol, la température atteint plusieurs milliers de degrés sous le point d’impact. Dans un rayon de 1 km, tout est instantanément vaporisé et réduit en cendres. Jusqu’à 4 km de l’épicentre, bâtiments et humains prennent feu spontanément ; les personnes situées dans un rayon de 8 km souffrent de brûlures au 3° degré. Après la chaleur, c’est au tour de l’onde de choc de tout dévaster: engendrée par la phénoménale pression due à l’expansion des gaz chauds, elle progresse à une vitesse de près de 1.000 km/h, semblable à un mur d’air solide. Elle réduit tout en poussières dans un rayon de 2 km. Sur les 90.000 bâtiments de la ville, 62.000 sont entièrement détruits.

Le troisième effet, encore très méconnu en 1945, et spécifique à cet arme est celui des rayonnements. Il entraîne des cancers, des leucémies… Il est d’autant plus terrifiant que ces effets n’apparaissent que des mois, voire des années après l’explosion. Les femmes enceintes au moment de l'explosion donnent naissance à des bébés atteints de malformations, en particulier de microcéphalie.

À Hiroshima, trente jours après la première bombe atomique qui détruisit la ville et fit trembler le monde, des gens qui n'avaient pas été atteints pendant le cataclysme, sont encore aujourd'hui en train de mourir mystérieusement, horriblement, d'un mal inconnu pour lequel je n'ai pas d'autre nom que celui de peste atomique. (…) Leurs cheveux tombent. Des tâches bleuâtres apparaissent sur leurs corps. Et puis ils se mettent à saigner, des oreilles, du nez, de la bouche. Au début, les médecins attribuèrent ces symptômes à un état de faiblesse généralisée. Ils firent à leur patient des injections de vitamine A. Les résultats furent horribles, la chair se mit à pourrir autour du trou fait par l'aiguille de la seringue. (…) Depuis, (les personnes) meurent à la cadence de 100 par jour.

- William Burchett, The Daily Express, 5 septembre 1945
Que reste-t-il à dire? Sans doute beaucoup de choses, mais pour terminer voici que les kami qui vieillaient sur Nagasaki eux aussi ont été irradiés: Est-ce possible? Des kami qui sont aussi des hibakusha?

Friday, January 04, 2002

La lumière blanche du dernier degré de barbarie

 

 


« On nous apprend au milieu d’une foule de commentaires enthousiastes que n’importe quelle ville d’importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la taille d’un ballon de football. Nous nous résumerons en une phrase: la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Déjà on ne respirait pas facilement dans un monde torturé. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif, ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.Voilà qu’une angoisse nouvelle nous est proposée, qui a toutes les chances d’être définitive. » 

- Albert Camus, éditorial du journal Combat, 8 août 1945.

Tuesday, January 01, 2002

Announcing the World of Tomorrow

OUR revels are now ended. These our actors

As I foretold you, were all spirits, and

Are melted into air, into thin air;

And, like the baseless fabric of this vision,

The cloud-capped towers, the gorgeous palaces,

The solemn temples, the great globe itself,

Yea, all which it inherit, shall dissolve,

And, like the insubstantial pageant faded,

Leave not a rack behind. We are such stuff

As dreams are made of, and our little life

Is rounded with a sleep.

William Shakespeare, The Tempest, Acte IV, scène 1





Le Monde de Demain se forme sous nos yeux, prenant consistence. Entre les myriades de possibilité qui nous sont offertes, nous, écrasés par le poids du passé et aveugles face à ces choix, déterminons parmi tous les mondes qui pourraient être dans l'A-venir celui qui sera réel avant de s'évanouir aussitôt, comme rosée au soleil, comme un rêve au matin, dans l'A-été.

Pendant un instant, nous vivons ce monde, mais si fugace que nous ne pouvons plus l'identifier comme tel, tant notre monde va vite, de plus en plus vite (ou est-ce nous qui devenons de plus en plus vieux?).

Alors, dans ce cas, pourquoi ne pas chercher à définir nous-mêmes quel pourrait être le Monde de Demain que nous souhaiterions?

Pourquoi ne pas cercher dans les A-venirs déjà imaginées et qui sont déjà dans l'A-été sans être jamais devenus des présents?

Voici une proposition:

Nouvelle année

Jour de l'an. Le 31 décembre à minuit a marqué la césure entre les 12 jours et 12 nuits les plus sombres de l'année qui s'ouvrent par Yuletide, c'est-à-dire la fête de Yule, le sacrifice aux elfes (alfablot) lors du solstice d'hiver pour tenter de faire revenir le soleil et l'empêcher de mourir et de disparaître à jamais.

Ce sacrifice était offert aux elfes, à Freyr en particulier, mais souvent c'était la Chasse Sauvage, menée par Wotan, chevauchant Sleipnir, qui venait cueillir le mort pendu à un sapin, symbole de vie éternelle. On dressait un immense bûcher pour rappeler la lumière du soleil dispensatrice de vie.

Chez les Celtes/ Anciens Irlandais, lit-on dans les chroniques médiévales, c'était le peuple du sidhe qui sacrifiait l'un des siens aux divinités chtoniennes une fois tous les sept ans afin de conserver leur immortalité. Au début, ce furent leurs rois qui étaient sacrifiés, puis, disent les ballades médiévales, les fées prirent l'habitude d'enlever un mortel (souvent un beau mortel) et de le faire roi pour une journée avant de l'offrir aux Enfers. Ainsi racontait-on la Dîme à l'Enfer.

Quoiqu'il en soit, il existe ce lien entre la vie, les fées et la mort (et l'immortalité).

Mais les rituels n'ont plus lieu depuis longtemps, ni les hommes ni les fées ne sacrifient plus à ce qu'ils refusent de croire, ni aux fées, ni à la mort d'ailleurs.

Les six jours qui viennent de se passer représentent les six premiers mois de l'année; les six jours à venir les six derniers.

Une fois l'Epiphanie passée (amusant d'ailleurs que dans certains pays, Noël est célébré ce jour-là, comme pour célébrer l'immense soulagement que ces jours sombres soient écoulés), la nouvelle année commencera.

Une nouvelle année, je l'espère, qui sera propice non plus à l'interrogation sur l'ancien monde, mais à la découverte du nouveau.


Et que dire, alors, du bug de l'an 2000?

Comme Christophe Colomb, l'envie me prend, ces temps-ci, de brûler mes nefs pour me forcer à aller de l'avant.